mercredi 4 août 2010

La Chenille


© Lionel.T66

Le Papillon et la Chenille

Un papillon léger, de ses ailes brillantes,
Etalait les riches couleurs ;
Et caressait de mille fleurs
Les étamines odorantes ;
Quand sur un lis, objet d’un désir inconstant,
L’aspect d’une chenille irrita sa colère.
«Fi ! Quelle horreur !» dit-il en reculant,
«Que fait donc cette espèce au milieu d’un parterre ?
Est-il un animal plus laid, plus dégoûtant ?
«On devrait en purger la terre. »
«- Ne fais pas tant le dédaigneux,»
Lui répond l’autre insecte ; «et dans quelle famille
«Aurais-tu choisis des aieux ?
«Souviens-toi, faquin vaniteux,
«Que tu naquis d’une chenille. »
Le papillon ne dit plus mot,
Eut l’air de butiner et s’enfuit comme un sot
Dont on a relevé la folle impertinence.
Mais la moraliste, un beau jour,
Devint papillon à son tour,
Et montra la même imprudence.
J’estime un parvenu, qui de ses propres mains,
Ayant bâti sa fortune ou sa gloire,
Les soutient sans orgueil, sans trop s’en faire accroire ;
Mais pour deux qu’on en cite, il est deux cents faquins,
Qui de leur origine ont perdu la mémoire ;
Et dans ce siècle d’oripeau,
De clinquant et d’enluminure,
Il est bien difficile à qui change de peau
De ne pas changer de nature.
Fables, Livre II, Fable VIII, Paris, 184

lundi 2 août 2010

L'invitation

© Lionel.T66

L'invitation au voyage

Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
- Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Charles BAUDELAIRE (1821-1867)